Je repense à Lincoln et sa statue
dans le parc ce matin. Au vent venu du lac butter contre mon front et au bruit
des sirènes sur Michigan Avenue, aux geysers de vapeur dans South Wabash s’immisçant par
bouffées depuis les bouches d’égout sous les jupes de filles décollées du sol
comme d’humains ascenseurs à la vitesse de bouchons de champagne chassés de
leurs enclaves de verre par de vieux démons. Au loin un bruit d’acier roulant
sur de l’acier et le tremblement de poutres métalliques enchâssées dans
l’asphalte aérien (Chicago vient de s’élever de six à dix mètres au-dessus d’elle-même)
couvert de poussière de chrome et de vieux chewing-gums.
OUVERTURE
Vu du Moïra Bar le soleil paraissait
fixé dans sa position une heure avant d’atteindre le Zénith, incapable
d’achever l’hyperbole de son cours naturel pour plonger dans la mer. Les
aiguilles des montres et celles des horloges battaient le pouls du monde sur
place tandis que les rayons du soleil immobile frappaient sans distinction le
lac Michigan, les océans, les vallons, les plaines, les forêts, Chicago, sa
rivière, Jo derrière son comptoir en train de ressuyer ses verres et Mitch sur
l’épaule accoudé au zinc, contemplant sa pinte vide…
Mitch : Jo sers m’en une autre s.t.p ! Et un autre bourbon tant qu’t’y
es…
Un arôme de grains distillés
s’échappait d’un verre tout juste vidé au milieu des lourds relents du midi
suspendu dans son vol. Poulp ! Hypnotisé, Mitch regardait les aiguilles de
l’horloge béquiller dans le cercle des douze apôtres de l’ennui sous l’action
d’une pile qui s’entêtait à les faire tourner sans pouvoir les faire avancer
d’un pouce.